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Un monsieur nous accueille à l’entrée de la salle d’audience ou plutôt se précipite vers notre groupe et nous indique un emplacement. Nous sommes saisis par sa précipitation toute solennelle, il porte la robe, sa gravité ne le quittera pas durant le procès ; même dans des moments où il bayait aux corneilles, il gardait son air cérémonieux. Un policier en faction nous indique que la cour est en retard, nous ressortons de la salle. Une question est sur toutes les lèvres : quelle est la fonction de ce monsieur qui prend des poses d’ecclésiastique ? « C’est l’huissier ». Un deuxième policier- un wallisien lui aussi- vient nous saluer, il a reconnu notre professeur de philosophie. Puis la clochette annonce l’arrivée de la cour, le public est debout. Le rituel immuable chargé de solennité tranche avec salle sans relief, au parterre couvert d’un horrible lino avec des cercles en relief. Les agents de police nous avaient indiqué l’emplacement des acteurs. Au centre, le président, reconnaissable à sa robe rouge et son hermine, les assesseurs qui l’entourent  et de chaque coté le jury ; devant nous, notre huissier et la greffière, derrière eux à droite l’avocat de la défense et derrière lui l’accusé encadré de deux policiers. Sur notre gauche, l’avocate de la partie civile face à l’avocate générale.
Le docteur Charlot (sic), 58 ans, est appelé à la barre, l’accusé a 39 ans quand il le rencontre. Des dossiers sont posés sur un pupitre. Le président lui demande de livrer ses conclusions « en votre honneur et votre conscience ». Nous suivons attentivement car nous ne savons rien de l’affaire, nous voulions éviter les préjugés. Le médecin souligne « l’humilité gestuelle » de l’accusé, puis insiste sur ses antécédents psychiatriques, « hospitalisé vingt quatre fois », son rapport est aussi social, « errance…aucune vie amoureuse…il fait la manche par choix…addiction au cannabis, à l’alcool, au kava, aux médicaments ». Il s’arrête à plusieurs reprises, peut être qu’il a conscience que c’est aussi un réquisitoire à charge qui va se dérouler. Il reprend, « impulsif, bagarreur…Il a conscience de la gravité de l’acte…niveau intellectuel correct…il a conscience d’être malade…mélange les contraires ». Puis rapporte des propos que lui a tenu l’accusé, «  une autre personne aurait agit comme moi ». Le praticien revient sur la personnalité de Watton : « trouble de la personnalité, comportement pulsionnel …il avait pris de l’alcool, du cannabis au moment des faits » … « dangerosité due aux addictions…réadaptation …sans désir de socialisation ». Il accentue davantage : « il est responsable (1) même si sa responsabilité est atténuée…son état de santé est compatible avec un état de détention…frustration…l’accusé rend les médicaments responsables…Temesta …tranquillisants, anxiogènes…Artane…neuroleptiques… » Il explique la dangerosité du mélange kava alcool…  « Le kava bloque les mécanismes d’élimination »… « Actes de violence récurrents…majoration de la discordance »…  « Mais son état est stabilisé puisqu’il est suivi régulièrement par son psychiatre et suit son traitement ».

L’assesseur : «  Quel est le rapport entre schizophrénie et sentiment d’agression?

Le médecin : non, il n’y a aucun rapport.

Est-il paranoïaque?

Non. »

Un juré fait parvenir une question sur un papier, le président la lit.

« Les actes de violence passés n’étaient-ils pas dus à une paranoïa engendrée par la consommation de cannabis?

Le médecin : responsabilité atténuée mais absence d’état délirant aux moments des faits.

Avocat de la défense : les premiers symptômes apparaîssent à l’âge de vingt ans, la maladie est reconnue huit ans après. Le retard a-t-il aggravé son état? 

La psychose n’était pas patente les premières années, elle a été accentuée par les addictions.

L’avocat de la défense rapporte les propos de son client : « je vois des lézards dans ma cellule, la nuit d’autres détenus originaires de Houaïlou rentrent dans ma cellule pour m’agresser…J’entends des voix, des bonhommes rentrent dans ma tête, ils me tirent les locks et ça me fait souffrir…Les gens jouent avec les médicaments, boucan, sorcellerie.»

Le médecin ;  « le boucan c’est la lecture culturelle de sa maladie, cela revient souvent chez les patients mélanésiens c’est une recherche d’irresponsabilité. Il s’agit d’hallucinations psycho-sensorielles dues au sevrage des prises de toxiques. »

L’avocat : « de quel type de schizophrénie souffre-t-il ? L’hébéphrénique ? (repli autiste ; la dissociation de l’unité psychique est dominante) ou la schizophrénie héboïdophrénique ? (où coexiste des passages à l’acte très violents et des symptômes dissociatifs comme une grande froideur affective)  Pourquoi fuit-il les relations sociales ? »

Il s’agit d’une autre forme agressive. Le docteur donne des précisions sur les formes de schizophrénies. Pendant ce temps notre huissier joue dignement avec sa montre.
Le président lit la déclaration de l’accusé lors de sa garde à vue. Ce texte de circonstance étonne par sa précision et sa tonalité vivante, sa verve joue selon l’expert contre l’accusé. Ce dernier souligne son analyse : en garde à vue, il s’exprime normalement ; ses pertes de mémoire, ses propos décousus sont en réalité une stratégie de défense. Le président demande à l’accusé si ce dernier veut faire une déclaration. Propos inaudibles, décousus, chaotiques. Et le président de conclure : « c’est hors sujet ». Lecture du dernier interrogatoire, le 27 avril 2010 : « j’ai un couteau parce que je suis sculpteur »… « Je fais des expositions »… « Je recevais 15 000 francs par moi mais ma fille m’a tout pris »… « Qu’est-ce que vous auriez fait à ma place, si vous étiez malade ? ».

Le président appelle la mère biologique de la victime à la barre. Gêne, hésitation, il insiste, il lui rappelle qu’on n’est pas là pour juger son fils et qu’elle peut venir parler de lui sans crainte. Elle a peu d’informations car son fils a été adopté coutumièrement par sa grand-mère maternelle et n’a pas été reconnu par son père biologique. Sa mère le connaissant très peu, habite à Canala et a fondé une autre famille. Elle s’exprime mezza voce. Propos émouvants et honnêtes. Intervention de l’avocat de la famille, nommé d’office. Elle commence par dire « je vais vous livrer ma vérité », elle met l’accent sur la dignité de la mère de la victime « vous ne savez rien sur la victime…le grand absent c’est la victime » elle fait circuler une photo d’identité de la victime au jury ainsi qu’au juge et aux assesseurs. Elle rappelle solennellement qu’il s’agit bien d’un meurtre et cite le code pénal « donner volontairement la mort » (2). Il avait un travail, une petite amie présente au moment des faits, elle insiste sur un ami travesti, il s’agit probablement de montrer son ouverture d’esprit, contrairement à l’accusé, présenté implicitement comme un raciste. Elle insiste sur le côté volontaire de l’acte en posant une question rhétorique : « ses coups ont-ils été porté dans l’intention de donner la mort ? », elle s’attaque à la sympathie de l’accusé « il nous a fait rire…il est tranquille…personnalité inquiétante…il est instable…ne supporte pas la frustration…rejeté par la tribu…frappe sa mère, son père…nomme des témoins à charge…comportement raciste ». Elle nomme clairement des faits objectifs « vols avec violence…vol en réunion…janvier 2008 agresse un père de famille avec un couteau… Affaire classée. En 2009 il agresse un autre pensionnaire du foyer des sans abri avec un couteau…il choisit son cocktail psychotrope, cannabis, kava…la provocation de la victime est un délire de l’accusé…pourquoi montrer le couteau à son acolyte avant les faits ?» L’avocate replace spatialement et chronologiquement les faits. Elle parle d’un énorme quiproquo à la suite d’un cri, elle replace également l’ambiance de cette soirée tragique. La victime fait le pitre devant ses amis, il amuse la galerie, sa petite amie étant présente. Echanges de cris entre la victime et l’accusé. L’avocate utilise une figure d’insistance : « rien, rien, rien qui ne ressemble à une agression ». Puis confrontation entre les deux hommes, verbale d’abord puis une agression qui dure moins d’une minute. Il n’y a pas eu de trace de lutte. Elle note une lame de 10 centimètres, deux coups portés à l’abdomen. Elle souligne la violence de l’agression ; une côte est cassée. Elle revient sur la déclaration de l’accusé comme quoi il s’agissait de légitime défense, soit disant que la victime était armée d’un tourne vis. Intervention du ministère public qui parle au nom de la société, nous sommes étonné des propos : « accident de parcours…une mère qui l’abandonne…terrain social et psychologique pénalisant…impossibilité de se reconstruire ». Nous sommes obligés de quitter la salle, le chauffeur de bus nous attend. Nous entendons une dernière phrase « je me suis posé cette question, de quel type de cri s’agissait-il ? ».

Nous apprenons par la presse le verdict : 18 ans de prison.

(1) « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes (art. 122-1 du code pénal).
(2) Le Code pénal définit le meurtre comme « le fait de donner volontairement la mort à autrui » (art 221-1).
Le meurtre simple est répressible de 30 ans de réclusion criminelle.

Terminale littéraire 2011 du lycée Anova.